11

 

 

Avançons-nous dans la forêt tout en parlant, suggéra-t-il, si cela ne vous dérange pas de marcher.

— Non, pas du tout, répondis-je.

Il brossa encore les quelques brins d’herbe restés sur son vêtement, une fine robe tissée, sobre et neutre, qui aurait pu être portée hier ou il y a un million d’années. Dans l’ensemble, il était légèrement plus grand que moi, et plus grand peut-être que la plupart des humains ; il correspondait en tous points au mythe de l’ange, si ce n’était que ses ailes blanches demeuraient diaphanes, conservant leur forme sous une sorte de manteau d’invisibilité, davantage, semblait-il, pour des raisons de commodité qu’autre chose.

— Nous ne sommes pas dans le cours du Temps, expliqua-t-il. Ne vous préoccupez pas des hommes et des femmes de cette forêt. Ils ne nous voient pas. Personne ne peut nous voir, c’est pourquoi je peux garder ma forme actuelle. Je n’ai pas à recourir au sombre corps de diable qu’il juge approprié pour mes manœuvres terrestres, ni à celui de l’Homme Ordinaire, que j’ai moi-même choisi afin d’être discret.

— Vous voulez dire que vous n’auriez pas pu m’apparaître sur terre sous votre apparence angélique ?

— Pas sans moult discussions et plaidoyers, et, franchement, je voulais l’éviter. C’est trop assommant. Cela aurait aussitôt fait pencher la balance en ma faveur. Sous cette forme, j’ai par trop l’air foncièrement bon. Mais je ne peux entrer au Ciel sans elle ; Il refuse de voir l’autre, et je ne l’en blâme pas. Et, à dire vrai, sur terre, il m’est plus facile d’aller et venir en tant qu’Homme Ordinaire.

Je me relevai en chancelant et acceptai la main, ferme et chaude, qu’il me tendait. En fait, son corps me semblait aussi solide que l’avait été celui de Roger, tout à la fin de son apparition. Mon corps, lui, était d’une seule pièce, il était entier et il m’appartenait.

Je ne fus pas surpris de découvrir que mes cheveux étaient complètement emmêlés. J’y passai hâtivement un peigne et brossai mes propres vêtements – le costume sombre que j’avais enfilé à La Nouvelle-Orléans, couvert de minuscules grains de poussière et de brins d’herbe du jardin, mais impeccable par ailleurs. Le col de ma chemise était déchiré, comme si je l’avais moi-même arraché en le déboutonnant pour tenter de respirer. Sinon, j’avais mon allure habituelle de dandy, là, dans cette forêt épaisse et verdoyante qui ne ressemblait à rien de ce qu’il m’avait été donné de voir auparavant.

Un examen, même rapide, m’indiqua qu’il ne s’agissait pas d’une forêt tropicale, mais d’un endroit beaucoup moins dense, quoique aussi primitif.

— Ce n’est pas notre époque, dis-je.

— Eh bien ! nous pouvons la parcourir à notre guise, nous ne sommes qu’à quelques millions d’années avant notre siècle, si vous voulez savoir. Mais, je vous le répète, les hommes et les femmes qui s’y promènent ne nous verront pas. Alors ne vous inquiétez pas. Et les animaux ne peuvent pas nous faire de mal. Nous sommes des observateurs, mais nous ne touchons à rien. Venez, je connais ce terrain par cœur, et, si vous me suivez, vous constaterez que nous pouvons nous frayer facilement un chemin dans cette jungle. J’ai beaucoup de choses à vous dire. Le décor qui nous entoure va bientôt changer.

— Et ce corps qui est le vôtre ? Ce n’est pas une illusion ? Il n’y manque rien.

— Les anges sont invisibles, par nature. Plus exactement, nous sommes immatériels en termes de matière terrestre, de matière de l’univers physique, ou quels que soient les mots que vous souhaitez employer dans ce domaine. Mais vous aviez raison dans votre hypothèse de départ quant au fait que nous possédons un corps essentiel ; et nous pouvons puiser en nous-mêmes suffisamment de substance à partir d’une immense variété de sources pour nous créer un corps complet, qui fonctionne véritablement, et que nous pouvons ensuite mettre en pièces et disperser au moment que nous jugeons opportun.

Nous cheminions lentement et aisément à travers les hautes herbes. Mes bottes, bien adaptées à l’hiver new-yorkais, ne rencontraient aucune difficulté sur le sol accidenté.

— Ce que je dis, poursuivit Memnoch, ses immenses yeux en amande baissés sur moi – il devait mesurer environ huit centimètres de plus –, c’est que ce n’est pas un corps emprunté, ni même inventé, à proprement parler. C’est mon corps, dès lors qu’il est entouré et imprégné par la substance. En d’autres termes, c’est le résultat logique de mon essence qui attire à elle tous les divers matériaux dont elle a besoin.

— Vous voulez dire que vous avez cette apparence-là parce que c’est votre apparence.

— Précisément. Le corps de Diable est un châtiment. Celui de l’Homme Ordinaire un subterfuge. Mais voici ma véritable apparence. Partout au Ciel, il y avait des anges comme moi. Votre attention s’est portée principalement sur les âmes des humains. Mais les anges étaient là.

J’essayai de me souvenir. Y avait-il eu des êtres plus grands, des êtres ailés ? Oui, il me semblait bien, pourtant je n’en étais pas sûr. Le tonnerre béatifique résonna soudain à mes oreilles. Je ressentis la joie, la sérénité, et par-dessus tout la satisfaction de ceux qui s’y trouvaient heureux. Mais les anges, non, je n’avais pas remarqué.

— J’adopte ma forme réelle, continua Memnoch, lorsque je me trouve aux cieux, ou en dehors du Temps. Lorsque je suis seul, pour ainsi dire, et que je ne suis pas tenu de rester sur Terre. D’autres anges, Michaël, Gabriel, tous ceux-là peuvent apparaître à leur guise aux hommes sous leur forme glorifiée. Et, là encore, cela serait naturel. La matière attirée à eux par leur force magnétique leur donne ainsi la plus belle de leurs apparences, celle dont Dieu les a dotés. Mais il est rare que cela leur arrive. Ils circulent en tant qu’Hommes et Femmes Ordinaires, simplement parce que c’est plus facile. Accabler continuellement les humains ne sert pas nos desseins – ni ceux de Notre Seigneur, ni les miens.

— Et là est toute la question. Quels sont vos desseins ? Que faites-vous, puisque vous n’êtes pas malfaisant ?

— Permettez-moi de commencer par la Création. Et laissez-moi vous dire tout de suite que j’ignore complètement d’où est venu Dieu, pourquoi ou comment. Personne ne le sait. Les auteurs mystiques, les prophètes de la terre, qu’ils soient hindous, zoroastriens, hébreux ou égyptiens, tous admettent l’impossibilité de comprendre l’origine de Dieu. Pour moi, ce n’est pas vraiment le problème et cela ne l’a jamais été, encore qu’à la fin des Temps, je soupçonne que nous le saurons.

— Vous voulez dire que Dieu ne s’est pas engagé à nous dire d’où Il vient.

— Vous savez quoi ? observa-t-il en souriant. Je ne crois pas qu’il le sache lui-même. Je pense que c’est en cela que réside toute la finalité de l’univers. Il réfléchit au rythme de l’évolution du monde, Il va trouver. Ce qu’il a mis en marche, comprenez-vous, est un gigantesque Jardin Sauvage, une expérience colossale, pour voir si son résultat final génère des êtres tels que Lui. Nous sommes créés à Son image, tous autant que nous sommes – Il est anthropomorphe, indiscutablement, mais, je le répète, Il n’est pas matériel.

— Et lorsque la lumière a jailli, lorsque vous vous êtes protégé les yeux, c’était Dieu.

Il acquiesça.

— Dieu, le Père, Dieu, l’Essence, Brahma, l’Aten, le Doux Seigneur, En Sof, Yahvé, Dieu !

— Alors comment peut-Il être anthropomorphe ?

— Son essence a une forme, comme pour moi. Nous, Ses premières créations, avons été façonnés à Son image. C’est ce qu’il nous a dit. Il a deux jambes, deux bras, une tête. Il a fait de nous des images invisibles, mais identiques. Puis il a mis l’univers en mouvement pour étudier les transformations de cette forme au travers de la matière, vous saisissez ?

— Pas tout à fait.

— Je pense que Dieu a travaillé à partir du calque de Sa personne. Il a créé un univers physique dont les lois résulteraient de l’évolution des créatures qui Lui ressemblent. Elles allaient être constituées de matière. À l’exception d’une différence capitale. Mais ensuite, il y a eu plein de surprises. Vous connaissez déjà mon opinion. Lorsqu’il était un humain, votre ami David avait mis le doigt dessus. Je pense que le projet de Dieu a terriblement mal tourné.

— Oui, c’est effectivement ce qu’a dit David : que les anges ont pensé que le projet de Dieu relatif à la Création était complètement erroné.

— Oui. Je pense qu’à l’origine, Il l’a fait pour découvrir comment cela aurait été si Lui avait été constitué de matière. Je pense aussi qu’il était en quête d’un indice pour savoir comment Lui-même était arrivé là où Il est. Et pourquoi Il a cette forme-là, c’est-à-dire la mienne ou la vôtre. En observant l’évolution de l’homme, Il espère comprendre Sa propre évolution, si toutefois un tel phénomène s’est réellement produit. Quant à savoir si tout cela a fonctionné ou non de manière à Le satisfaire, vous seul pouvez en être le juge.

— Attendez une minute, répondis-je. Car s’il est un esprit fait de lumière, ou de rien du tout, alors qu’est-ce qui, au commencement, Lui a donné l’idée de la matière ?

— Ah ! voilà bien le grand mystère cosmique. Selon moi, c’est Son imagination qui a créé la matière, ou qui l’a prévue, ou ardemment désirée. Voyez-vous, Lestat, si Lui-Même est issu de la matière… alors cela signifie que tout ceci est une expérience pour voir à quel moment la matière pourra de nouveau se transformer pour redevenir Dieu.

« S’il n’est pas né de la matière, s’il l’a précédée et que c’est une chose qu’il a imaginée et à laquelle Il aspirait, eh bien ! à la base, les effets sur Lui sont les mêmes. Il voulait la matière. Sans elle, Il était mécontent. Sinon, Il ne l’aurait pas créée. Ce n’était pas un hasard, je puis vous l’assurer.

« Mais je vous préviens, tous les anges ne sont pas d’accord sur cette interprétation ; certains n’éprouvent pas le besoin d’en donner une, et d’autres avancent des thèses complètement différentes. C’est ma théorie, et, puisque je suis le Diable, et ce, depuis des siècles, puisque je suis l’Adversaire, le Prince des Ténèbres, le Maître du Monde, des Hommes et de l’Enfer, je considère que mon opinion mérite d’être énoncée. Et d’être partagée. C’est donc mon article de foi.

« Le dessein de l’univers est immense, ce qui est un euphémisme, mais le processus de son évolution résulte de Son expérience calculée, et nous, les anges, avons été créés bien avant son commencement.

— Comment était-ce avant les débuts de la matière ?

— Je ne peux pas vous répondre. Je le sais, mais, à proprement parler, je ne m’en souviens pas. La raison en est simple : lorsque la matière a été créée, le temps l’a été également. Tous les anges se sont mis à exister non seulement dans leur perfection céleste auprès de Dieu, mais pour témoigner et être intégrés au temps.

« À présent, nous pouvons nous en échapper, et je peux, dans une certaine mesure, me rappeler l’époque où le piège que sont la matière et le temps n’existaient pas ; mais je ne saurais vraiment plus vous dire à quoi ressemblait cette toute première phase. La matière et le temps ont totalement modifié les choses. Ils n’ont pas seulement fait disparaître l’état de pureté qui les a précédés, ils l’ont relégué au second plan ; ils lui ont fait de l’ombre ; ils l’ont… comment pourrais-je dire…

— Éclipsé…

— Exactement. La matière et le temps ont éclipsé le temps avant le temps.

— Mais vous souvenez-vous d’avoir été heureux ?

— Question intéressante. Oserais-je dire ceci ? s’interrogea-t-il tout en continuant à méditer. Oserais-je dire que je me souviens davantage d’un désir ardent, de l’inachèvement, que d’un bonheur parfait ? Oserais-je dire qu’il y avait moins à comprendre ?

« Vous ne pouvez pas sous-estimer l’effet qu’a produit sur nous la création de l’univers physique. Essayez de réfléchir à ce que signifie le temps, et à quel point vous risqueriez d’être malheureux sans lui. Non, ce n’est pas ça. Je veux dire que sans le temps, vous ne pourriez pas avoir conscience de vous-même, que ce soit en termes d’échec ou d’accomplissement, de progression ou de recul, ou de toute autre chose.

— Je comprends. Un peu comme les gens âgés dont l’intelligence a tellement baissé que leur mémoire est de jour en jour plus défaillante. Végétatifs, les yeux grands ouverts, ils ne sont plus en phase avec leurs semblables parce qu’ils perdent le sens de toute chose… d’eux-mêmes et du reste.

— L’analogie est parfaite. Mais permettez-moi de vous certifier que ces individus, si âgés et meurtris soient-ils, ont encore une âme, qui, à moment donné, cessera d’être dépendante de leurs cerveaux invalides.

— Des âmes ! fis-je.

Nous marchions lentement mais régulièrement, et j’essayai de ne pas me laisser distraire par la verdure et les fleurs ; mais les fleurs m’ont toujours charmé ; et j’en voyais ici d’une taille que notre monde actuel trouverait sûrement peu pratiques et impossibles à entretenir. Il y avait toutefois des espèces d’arbres que je connaissais. C’était le monde tel qu’il avait été jadis.

— Effectivement, vous avez raison sur ce point. Sentez-vous la chaleur tout autour de vous ? C’est pour notre planète une ère d’évolution harmonieuse. Lorsque les hommes évoquent l’Éden ou le Paradis, c’est de ce temps-là dont ils se “souviennent”.

— La période glaciaire ne va pas tarder à arriver.

— La seconde période glaciaire, oui. Absolument. Puis l’univers verra son renouveau, et l’Éden reviendra. Tout au long de la période glaciaire, l’homme et la femme vont évoluer. Mais n’oubliez pas que même à ce stade, la vie telle que nous la connaissons existait depuis des millions d’années !

Je m’arrêtai. Le visage entre les mains, j’essayai de réfléchir à tout cela. (Si vous voulez faire de même, vous n’avez qu’à relire les deux dernières pages.)

— Mais Il savait ce qu’était la matière !

— Non, j’en doute, répondit Memnoch. Il a pris cette graine, cet œuf, cette essence et l’a coulée dans un moule qui est devenu matière. Mais j’ignore dans quelle mesure Il avait anticipé ce que cela allait signifier. Vous voyez, c’est notre grand sujet de discorde. Je ne pense pas qu’il prévoie les conséquences de Ses actes ! Ni qu’il s’en préoccupe ! C’est là la cause de notre grande bataille !

— Ainsi, Il aurait créé la matière au fur et à mesure qu’il découvrait ce que c’était.

— Oui, la matière et l’énergie, qui sont interchangeables, comme vous le savez ; Il les a créés, en effet, et j’ai idée que la clé de Son être réside dans le mot “énergie”, que si l’anatomie de l’homme atteint jamais le point où les anges et Dieu peuvent être expliqués de façon satisfaisante en langage humain, l’énergie sera la clé.

— Par conséquent, Il était énergie, observai-je, et, en façonnant l’univers, Il a fait en sorte qu’un peu de cette énergie soit transformée en matière.

— Oui, afin de créer une permutation circulaire indépendante de Lui. Mais bien sûr, au début, personne ne nous en a rien dit. Et Lui non plus. Mais je ne crois pas qu’il le savait. Et nous encore moins. Toujours est-il que nous étions éblouis par Ses créations. Nous étions littéralement stupéfaits par le contact, le goût, la chaleur, la solidité et la gravitation de la matière dans son combat contre l’énergie. Nous n’en croyions pas nos yeux.

— Et vous avez vu l’univers se développer. Vous avez assisté au Big Bang.

— Utilisez ce terme avec scepticisme. Oui, nous avons vu naître l’univers ; nous avons vu chaque chose se mettre en mouvement. Et nous en avons été subjugués ! C’est pourquoi presque toutes les religions anciennes célèbrent la majesté, la grandeur, la magnificence et le génie du Créateur ; c’est pourquoi aussi les toutes premières antiennes jamais composées chantent les louanges de Dieu. Nous étions impressionnés, comme les humains un peu plus tard allaient l’être aussi, et, dans nos esprits angéliques, Dieu était Tout-Puissant, prodigieux et dépassait tout entendement, avant même que l’homme n’existe.

« Mais je vous rappelle, d’autant plus que nous traversons ce jardin merveilleux, que nous avons été témoins de millions d’explosions et de transformations chimiques, de commotions, dont toutes comportaient des molécules non organiques avant que “la vie”, comme nous l’appelons, ne vienne à naître.

— Les chaînes de montagnes existaient ?

— Oui.

— Et les pluies ?

— C’étaient des torrents et des torrents de pluie.

— Des éruptions volcaniques ?

— Continuellement. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien nous étions fascinés. Nous observions l’atmosphère qui s’épaississait et se développait, nous la regardions changer dans sa composition.

« Et puis, et puis est arrivé ce que je nommerai pour vous les “Treize Révélations de l’Évolution Physique”. Et, par révélation, j’entends ce qui a été révélé aux anges au cours du processus, à ceux d’entre nous qui observaient, à nous.

« Je pourrais vous le raconter plus en détail, vous emmener au cœur de chaque espèce basique d’organisme qui s’est jamais développée dans ce monde. Mais vous ne vous en souviendriez pas. Je vais vous parler de ce dont vous allez pouvoir vous souvenir, pour que vous puissiez prendre votre décision tant que vous êtes encore vivant. »

— Suis-je vivant ?

— Évidemment. Votre âme n’a jamais éprouvé la mort physique ; elle n’a jamais quitté la terre, sauf en ma compagnie, par une dispense spéciale pour ce voyage. Vous savez que vous êtes vivant. Vous êtes Lestat de Lioncourt, même si votre corps a subi une mutation due à l’intrusion d’un esprit étranger et alchimique, dont vous avez vous-même relaté l’histoire et les infortunes.

— Pour venir avec vous… Pour décider de vous suivre… Il faut donc que je meure, n’est-ce pas ?

— Bien sûr.

De nouveau, je m’arrêtai net, les mains collées à mes tempes. Je regardais fixement la terre sous mes bottes. Je sentais les nuées d’insectes agglutinées dans les rayons que le soleil dardait sur nous. J’observais le reflet de la splendeur de la forêt verdoyante dans les yeux de Memnoch.

Il leva la main très lentement, comme pour me donner toute latitude de m’éloigner de lui, puis il la posa sur mon épaule. J’aimais ce geste, car il était empreint de respect. Moi-même, j’essayais si souvent de faire ces gestes-là.

— Vous avez le choix, vous vous en souvenez ? Vous pourrez redevenir exactement ce que vous êtes en ce moment.

Je ne pouvais répondre. Je sais ce que je pensais. Immortel, matériel, surnaturel, vampire. Mais je me gardai de prononcer ces mots-là. Comment pouvait-on se remettre d’une chose pareille ? Et, de nouveau, je vis Son visage et entendis Ses paroles. Jamais vous ne seriez mon adversaire, n’est-ce pas ?

— Vous réagissez très bien à ce que je vous dis, observa-t-il chaleureusement. Je le savais, et pour plusieurs raisons.

— Pourquoi ? Expliquez-moi. J’ai besoin que l’on me rassure un peu. Je suis trop bouleversé par les larmes que j’ai versées et par mes balbutiements, quoique, je dois l’avouer, je n’aie guère envie de parler de moi.

— Ce que vous êtes fait partie de ce que nous faisons, dit-il.

Nous étions arrivés devant une énorme toile d’araignée, suspendue au-dessus de notre large chemin par des fils épais et luisants. Respectueusement, il se baissa pour passer en dessous plutôt que de la détruire, rabattant ses ailes autour de lui, et je suivis son exemple.

— Vous êtes curieux, c’est votre plus grande qualité, dit-il. Vous avez envie d’apprendre. C’est ce que votre Marius, l’ancien, vous expliquait, lui qui, ayant survécu des milliers d’années ou presque, vous répondait comme si vous étiez une toute jeune créature vampirique, parce que les questions que vous posiez étaient pleines de sincérité. Vous vouliez apprendre. Et c’est également ce qui m’a séduit en vous.

« En dépit de toute votre arrogance, vous vouliez savoir ! Vous n’avez cessé de vous montrer excessivement injurieux à mon égard et à celui de Dieu, mais, de nos jours, tout le monde a tendance à l’être. Cela n’a rien d’exceptionnel, sauf que dans votre cas à vous, il y avait dans votre attitude une curiosité et un émerveillement d’une authenticité formidable. Vous avez vu le Jardin Sauvage, plutôt que de vous contenter d’y jouer un rôle. Ce qui a contribué au fait que je vous choisisse.

— Très bien, fis-je dans un soupir.

C’était logique. Bien sûr que je me souvenais du jour où Marius s’était dévoilé à moi. Je n’avais rien oublié de ses paroles auxquelles Memnoch faisait allusion. Et j’étais conscient, également, que mon immense amour pour David, et pour Dora, tournait autour de traits de caractère très similaires chez l’un et l’autre : une curiosité d’esprit pleine d’intrépidité et encline à assumer les conséquences des réponses.

— Seigneur, ma Dora, est-ce qu’elle va bien ?

— Ah ! c’est ce genre de remarque qui m’étonne toujours, cette facilité avec laquelle vous êtes distrait. Juste au moment où j’ai l’impression que j’ai vraiment réussi à vous surprendre et que vous n’allez plus m’échapper, vous vous dérobez et exigez qu’on vous réponde selon vos propres conditions. Ce n’est pas un outrage à votre appétit de connaissance, mais c’est un moyen de contrôler l’investigation, pour ainsi dire.

— Êtes-vous en train de me dire que je dois, pour l’instant, oublier Dora ?

— Je vais vous dire mieux : vous n’avez aucun souci à vous faire. Vos amis, Armand et David, ont trouvé Dora, et ils veillent discrètement sur elle.

Il sourit pour me rassurer, puis il hocha la tête avec une expression quelque peu dubitative, voire empreinte de réprimande.

— Et, ajouta-t-il, vous devez vous souvenir que votre précieuse Dora a en elle d’incroyables ressources physiques et mentales. Vous avez très certainement accompli ce que Roger vous avait demandé. Depuis des années déjà, sa foi en Dieu a fait d’elle un être à part ; et ce que vous lui avez montré n’a fait que renforcer son engagement dans tout ce à quoi elle croit. Je n’ai plus envie de parler d’elle. Je veux poursuivre ma description de la Création.

— Continuez, s’il vous plaît.

— Bon, alors, où en étions-nous ? Il y avait Dieu ; et nous étions auprès de lui. Nous étions dotés d’une forme anthropomorphe, mais nous ne lui donnions pas ce nom-là parce que nous ne nous étions jamais vus sous une apparence matérielle. Nous avions conscience de nos membres, de nos têtes, nos visages, nos formes, et d’une sorte de mouvement purement céleste, mais qui concourait à l’organisation des différentes parties de nos êtres, avec une grande fluidité. Mais nous ignorions tout de la matière ou de l’apparence matérielle. Puis Dieu a créé l’univers et le temps.

« Nous en avons été étonnés, et fascinés aussi ! Absolument fascinés !

« Dieu nous a dit : “Regardez bien, parce que cela va être beau, cela va surpasser votre imagination et vos espérances, tout comme les Miennes.”

— Dieu a dit cela ?

— Oui, à moi et aux autres anges. Regardez bien. Et si vous vous reportez aux diverses versions des saintes Écritures, vous constaterez que l’un des tout premiers termes utilisés pour nous désigner, nous les anges, est les Veilleurs.

— Oui, dans Hénoch et dans de nombreux textes hébraïques.

— C’est exact. Et si vous vous référez aux autres religions dans le monde, dont les symboles et le langage vous sont moins familiers, vous y découvrirez une cosmologie d’êtres semblables, une race précoce de créatures divines qui ont observé ou précédé l’homme. Tout y est faussé, mais, d’une certaine façon, c’est quand même vrai. Nous avons été les témoins de la Création de Dieu. Comme nous existions déjà, nous n’avons pas pu assister à notre propre création. Mais nous étions présents lorsqu’il a fait les étoiles !

— Êtes-vous en train de m’expliquer que ces autres religions ont la même valeur que celle dont nous nous préoccupons ? Nous parlons de Dieu et de Notre Seigneur comme si nous étions des catholiques européens.

— Dans d’innombrables textes de par le monde, tout est mensonger. Quelques écrits, à présent perdus pour toujours, contiennent des informations étonnamment précises sur la cosmologie ; d’autres sont connus des hommes ; et d’autres enfin, ont été oubliés mais peuvent être redécouverts un jour ou l’autre.

— Un jour ou l’autre…

— C’est toujours la même histoire. Mais laissez-moi vous exposer mon point de vue, et vous n’aurez aucune difficulté à le concilier avec vos propres références et la symbolique à laquelle vous êtes habitué.

— Mais la valeur des autres religions ! Vous dites que l’être que j’ai vu au Ciel n’était pas le Christ.

— Je n’ai pas dit cela. En tout état de cause, j’ai dit qu’il était Dieu incarné. Attendez un peu que nous en soyons là.

Nous étions sortis de la forêt et nous trouvions maintenant à la lisière de ce qui semblait être un veldt. Pour la première fois, j’apercevais les humains dont l’odeur avait attiré mon attention – une bande de nomades à peine vêtus qui s’avançaient au loin et à pas réguliers à travers les hautes herbes. Ils devaient être environ une trentaine, peut-être moins.

— Et la période glaciaire est encore à venir, répétai-je.

Je me tournai en tous sens, dans l’espoir de mémoriser les détails de ces arbres immenses et de m’en imprégner. Or, comme je m’y employais, je réalisai soudain que la forêt avait changé.

— Observez attentivement ces êtres humains, dit-il. Regardez. (Il les désigna du doigt.) Que voyez-vous ?

Pupilles étrécies, j’en appelais à mes pouvoirs vampiriques afin de mieux les discerner.

— Des hommes et des femmes, qui ressemblent fort à ceux d’aujourd’hui. Oui, je dirais qu’il s’agit d’Homo Sapiens Sapiens. Ils sont de notre espèce.

— Exactement. Que remarquez-vous à propos de leurs visages ?

— Que leurs expressions sont nettes et semblent tout à fait modernes, en tout cas lisibles par un esprit contemporain. Certains froncent les sourcils ; d’autres bavardent ; un ou deux paraissent plongés dans leurs pensées. L’homme à la chevelure hirsute qui est resté en arrière a l’air malheureux. Et la femme, celle avec une poitrine énorme… Vous êtes sûr qu’elle ne nous voit pas ?

— Non, elle ne peut pas. C’est à peine si elle regarde dans notre direction. Qu’est-ce qui la distingue des hommes ?

— Eh bien ! ses seins, évidemment, et le fait qu’elle soit glabre. Les hommes sont barbus. Bien sûr, ses cheveux sont plus longs, et puis, elle est jolie ; elle a une ossature délicate ; elle est féminine. Elle n’est pas enceinte, à la différence des autres. Elle doit être la plus jeune, ou celle qui n’a pas encore eu d’enfants.

Il acquiesça.

Il me semblait pourtant qu’elle pouvait bel et bien nous voir. Elle plissait les yeux comme je le faisais moi-même. Son visage était allongé, ovale, ce qu’un paléontologue aurait appelé de Cro-Magnon ; il n’y avait en elle rien de simiesque, ni en sa parenté, d’ailleurs. Elle n’était pas blonde cependant, sa peau était cuivrée, un peu comme celle des peuples sémites ou arabes, et comme la Sienne, là-haut dans le Ciel. Ses cheveux noirs se soulevèrent délicieusement dans le vent comme elle se tournait pour repartir.

— Tous ces gens sont nus.

Memnoch eut un petit rire.

Nous retournâmes dans la forêt ; le veldt disparut. Autour de nous, l’air était épais, humide et odoriférant.

Des fougères et des conifères immenses nous dominaient. Je n’avais jamais vu de fougères aussi hautes, avec leurs gigantesques frondes bien plus grandes que les lames des feuilles de bananier ; quant aux conifères, je ne pouvais les comparer qu’aux rudes séquoias des forêts de Californie occidentale, ces arbres qui avaient toujours suscité en moi un sentiment de solitude et de peur.

Il marchait toujours en tête, oublieux de cette foisonnante jungle tropicale à travers laquelle nous cheminions. Des choses nous dépassaient en rampant ; l’on entendait au loin des rugissements étouffés. Le sol était recouvert de plusieurs couches d’une végétation verdoyante, veloutée, plissée, et parfois de rochers qui paraissaient animés !

Un vent plutôt froid se mit soudain à souffler et je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule. Le veldt et les humains s’étaient depuis longtemps évanouis. Les sombres fougères s’élevaient si denses derrière nous qu’il me fallut un moment pour réaliser que la pluie tombait du ciel, bien au-dessus de nos têtes, frappant les feuilles les plus hautes puis retombant sur nous de son petit bruit apaisant.

Aucun humain n’avait jamais vécu dans cette forêt, c’était certain, mais quelle espèce de monstres se trouvait là, risquant de jaillir de l’ombre à tout instant ?

— Bien, dit Memnoch en écartant sans difficulté de son bras droit l’épaisse frondaison tandis que nous continuions à marcher. Venons-en à ma description, ou plutôt à ce que j’ai organisé au sein des Treize Révélations de l’Évolution, au fur et à mesure que les anges les percevaient et en discutaient avec Dieu. Comprenez bien, alors même que nous allons parler uniquement de ce monde-ci – les planètes, les étoiles, les autres galaxies – que cela n’a rien à voir avec ce qui nous préoccupe.

— Vous voulez dire que nous constituons les seuls êtres vivants dans tout cet univers ?

— Je veux dire que je ne connais rien d’autre que mon univers, mon Ciel et mon Dieu.

— Je vois.

— Comme je vous l’ai dit, nous avons été les témoins de processus géologiques complexes ; nous avons vu surgir les montagnes, naître les mers, et se déplacer les continents. Nos antiennes de louanges et d’émerveillement étaient infinies. Vous ne pouvez imaginer ce que sont les chants du Ciel ; vous en avez entendu la musique dans un Paradis peuplé d’âmes humaines. À l’époque, nous n’étions que les chœurs célestes, et chaque évolution nouvelle nous inspirait ses psaumes et ses cantiques. Le son était autre. Pas mieux, non, mais différent.

« Pendant ce temps, nous étions très occupés, descendant dans l’atmosphère terrestre, oublieux de sa composition, et nous perdant dans la contemplation de détails divers. Les infimes particularités de la vie exigeaient de nous une observation minutieuse qui n’existait pas au royaume des cieux.

— Vous voulez dire que tout y était vaste et évident ?

— Absolument, et complètement illuminé, aussi. L’amour de Dieu n’était en aucun cas accru, approfondi ou compliqué par de quelconques vétilles.

Nous étions parvenus à une cascade, au débit faible mais impétueux, qui dégringolait jusqu’à une fontaine bouillonnante. Je restai là quelques instants, le visage et les mains rafraîchis par ses embruns. Memnoch semblait y trouver un égal plaisir.

Je m’aperçus que ses pieds étaient nus. Il avait trempé l’un des deux dans l’eau, qu’il regardait tournoyer autour de ses orteils. Ses ongles, très soignés, étaient pareils à de l’ivoire.

Tandis qu’il fixait les eaux écumantes et tumultueuses, ses ailes devinrent visibles et s’élevèrent soudain tout droit vers d’immenses pics au-dessus de lui ; je vis alors les gouttelettes qui scintillaient sur ses plumes. Il se produisit une sorte d’agitation ; les ailes se replièrent, semblables à celles d’un oiseau, puis se rabattirent derrière lui avant de disparaître.

— Imaginez à présent, reprit-il, les légions d’anges, toute cette multitude, de tous les rangs – car il existe une hiérarchie – descendant sur cette terre et tombant amoureux de phénomènes aussi simples que l’eau qui bouillonne sous nos yeux ou les couleurs changeantes du soleil lorsque ses rayons percent les gaz qui entourent la planète.

— Était-ce plus intéressant que le Paradis ?

— Oui. Il faut bien l’admettre. Bien sûr, en rentrant, on se sent pleinement satisfait d’être au Ciel, surtout si Dieu est content ; mais les aspirations, la curiosité innée reviennent, les pensées semblent se former dans nos esprits. C’est de cette façon que nous avons pris conscience de notre cerveau ; mais revenons-en aux Treize Révélations.

« La Première Révélation fut la transformation des molécules non organiques en molécules organiques… du rocher à la minuscule molécule vivante, pour ainsi dire. Oubliez cette forêt. Elle n’existait pas à l’époque. Mais regardez cette mare. C’était dans une cuvette semblable, coincée entre les montagnes, chaude, pleine d’activité et de gaz provenant des fournaises de la terre, que ces phénomènes ont débuté, et que les premières molécules organiques sont apparues.

« Une clameur s’éleva jusques aux cieux. « Seigneur, regardez ce que la matière a fait. » Et le Tout-Puissant approuva de son habituel sourire radieux. « Attendez et observez », a-t-il ajouté, et, comme nous obéissions, vint alors la Deuxième Révélation : les molécules commencèrent à s’organiser en trois éléments de la matière : les cellules, les enzymes et les gènes. Naturellement, la forme unicellulaire n’était pas sitôt apparue que les formes multicellulaires naquirent à leur tour ; et ce que nous avions pressenti avec l’arrivée des premières molécules organiques était à présent parfaitement évident ; une étincelle de vie animait ces choses-là ; elles étaient encore peu développées, mais il nous semblait que nous pouvions voir cette étincelle de vie et reconnaître en elle la preuve, si infime fût-elle, de l’essence de la vie que nous possédions nous-mêmes en abondance !

« En somme, l’univers était l’objet d’un bouleversement d’un genre nouveau ; et nous observions ces êtres microscopiques et multicellulaires qui flottaient dans l’eau, se rassemblaient pour constituer les plus primitives des algues ou fongus, nous voyions ces petites choses vivantes et vertes prendre possession du sol lui-même ! Le limon, resté accroché durant des millions d’années à ses bords, sortait à présent de l’eau. Et de ces machins rampants et verdâtres jaillissaient les fougères et les conifères que vous voyez tout autour de vous, qui ne cessaient de s’élever que lorsqu’ils avaient atteint une dimension gigantesque.

« Mais les anges aussi sont grands. Nous pouvions marcher sous ces arbres, dans un monde couvert de verdure. Alors, une fois de plus, si vous le voulez bien, écoutez avec votre imagination les antiennes de louanges qui s’élevaient vers le ciel ; écoutez la joie de Dieu, percevant tout ceci à travers Son propre intellect, à travers les chœurs, les récits et les prières de Ses anges !

« Les anges commencèrent à se disperser partout sur la Terre ; quelques endroits les charmèrent ; certains préféraient les montagnes ; d’autres, les vallées profondes, ou les mers, ou les sombres forêts verdoyantes et ombragées.

— Ils devinrent donc pareils aux esprits aquatiques, dis-je, ou aux esprits sylvestres – tous ces esprits que les hommes se mettront par la suite à vénérer.

— Précisément. Mais vous brûlez les étapes ! Ma réaction à ces deux premières Révélations fut identique à celle de mes nombreuses légions ; sitôt que nous sentions une étincelle de vie émanant de ces organismes végétaux multicellulaires, nous commencions aussi à percevoir la mort de cette étincelle, dès qu’un organisme en dévorait un autre, ou bien l’envahissait pour se nourrir de lui ; et ce que nous voyions alors était la multiplicité et la destruction.

« Ce qui n’avait été jusque-là que de simples mutations – échange d’énergie et de matière – prenait à présent une nouvelle dimension. Nous vîmes alors s’annoncer la Troisième Révélation. Seulement, nous ne nous en sommes réellement rendu compte que lorsque les premiers organismes animaux se sont distingués des végétaux.

« Tandis que nous observions leur mouvement précis et déterminé, avec leur apparente grande variété de possibilités, nous comprîmes que l’étincelle de vie dont ils faisaient preuve était effectivement tout à fait semblable à la vie à l’intérieur de nous-mêmes. Et qu’arrivait-il à ces créatures ? À ces animaux microscopiques et à ces plantes ?

« Ils mouraient, voilà ce qui arrivait. Ils étaient nés, ils vivaient et mouraient, puis commençaient à pourrir. Et telle fut la Troisième Révélation de l’Évolution : la mort et la putréfaction.

Le visage de Memnoch devint plus sombre que je ne l’avais jamais vu. Il en conservait l’innocence, et l’émerveillement aussi, mais il était voilé par quelque chose de terrible, qui semblait être un mélange de peur et de déception ; peut-être n’était-ce que l’étonnement naïf de celui qui aboutit à une conclusion atroce.

— La Troisième Révélation fut la mort et la putréfaction, répétai-je. Et vous en avez éprouvé de la répulsion.

— Non, pas de la répulsion ! J’ai simplement supposé que cela devait être une erreur ! Je suis remonté jusqu’aux Cieux. “Écoutez, ai-je dit à Dieu, ces petites choses microscopiques cessent de vivre, l’étincelle s’éteint – phénomène impossible chez Vous ou chez nous, et ce qui reste de leur matière se met alors à pourrir.” Je n’étais pas le seul ange à m’être envolé vers la face de Dieu pour y pousser ce grand cri.

« Mais je pense que la peur et le soupçon dénaturaient mes antiennes d’émerveillement. La peur était née dans mon cœur. Je l’ignorais, mais elle s’était installée en moi avec la perception de la mort et de la putréfaction ; et, dans mon esprit, ce sentiment-là avait quelque chose de répressif.

Il me regarda.

— Souvenez-vous, poursuivit-il, nous sommes des anges. Jusqu’alors, la notion de punition nous était étrangère ; nos pensées n’avaient jamais connu la souffrance ! Vous saisissez ? Et je souffrais ; et la peur en était une des minuscules composantes.

— Et qu’a dit Dieu ?

— Que croyez-vous qu’il ait dit ?

— Que tout cela faisait partie du plan.

— Absolument. “Observez. Observez, et vous verrez que rien d’essentiellement nouveau ne se passe ; il se produit toujours le même échange d’énergie et de matière.”

— Et l’étincelle ? m’écriai-je.

— « Vous êtes des créatures vivantes, a dit Dieu. Le fait de percevoir un tel phénomène est le mérite de votre intelligence brillante. Maintenant, regardez. Ce n’est pas terminé.”

— Mais la souffrance, la notion de punition…

— Toutes ces questions ont été résolues au cours d’une Grande Discussion. Une discussion avec Dieu implique non seulement des paroles cohérentes, mais aussi un immense amour pour Lui, la lumière que vous avez vue, qui nous entoure et se répand en chacun de nous. Alors Dieu nous a rassurés, et peut-être était-ce ce qu’il fallait au soupçon de douleur en moi – me tranquilliser quant au fait qu’il n’y avait rien à craindre.

— Je vois.

— J’en arrive maintenant à la Quatrième Révélation, mais n’oubliez pas que l’ordre de ces révélations est arbitraire. Comme je vous l’ai dit, il m’est impossible de tout vous raconter dans ses moindres détails. La Quatrième Révélation, que j’appelle Révélation de la couleur, a commencé avec les plantes à fleurs. La création des fleurs ; l’introduction d’un moyen beaucoup plus extravagant et visiblement plus beau d’unir les organismes. Comprenez bien que l’union a toujours existé. Même pour les animaux unicellulaires, il y a toujours eu accouplement.

« Mais les fleurs ! Elles amenaient une profusion de couleurs que l’on n’avait encore jamais vue dans la nature, si ce n’était dans l’arc-en-ciel ! Ces couleurs que nous avions connues au Ciel, et que nous considérions comme purement célestes, voilà que nous constations qu’elles n’appartenaient pas seulement au Ciel, puisqu’elles pouvaient se développer, pour des causes naturelles, dans cet immense laboratoire qu’on appelait la Terre.

Memnoch le demon
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